CAMEROUN : CHAMAILLE DANGEREUSE DE CHEFFERIES

CAMEROUN : CHAMAILLE DANGEREUSE DE CHEFFERIES

février 6, 2023 0 Par MBOLO Team

Par le Professeur
Alain Boutat

MEDIAPART
6 FÉVR. 2023

Dans la région de l’Ouest-Cameroun, le département du Noun connaît de vives tensions entre Bamoun et Tikar. Outre les conséquences désastreuses que peuvent produire de telles frictions communautaires, adossées sur l’allégeance à des chefferies traditionnelles, la problématique est celle de leur persistance dans un État présumé moderne.

Les chefferies traditionnelles du Cameroun constituent un échelon de l’organisation administrative et sont hiérarchisées par degrés selon leur ampleur spatiale ou historique : le premier degré couvre au moins deux chefferies de deuxième degré, sur un territoire ne dépassant pas celui d’un département ; le deuxième degré s’étale sur deux chefferies de troisième degré au moins, dans les limites d’un arrondissement ; le troisième degré concerne simplement un village ou un quartier urbain.

TENSIONS ENTRE CHEFFERIES BAMOUN ET TIKAR

Le sultan Bamoun est le vingtième descendant d’une dynastie instaurée dès le XIVe siècle, dont le fief fut unifié jadis par un prince Tikar. Le groupement Magba en ébullition fut dirigé de 1945 à 1958 par un Tikar. À sa mort, le sultan réussit à placer son frère, qui régna durant 17 ans. En 1975, les notables Tikar décidèrent de choisir parmi eux le nouveau chef. Ce choix serait, depuis lors, à l’origine de profondes animosités.

Quelle est toutefois aujourd’hui la raison des tensions entre chefferies Bamoun et Tikar, dont les deux leaders se retrouvent embarqués dans une médiation sous les auspices du véritable « chef de terre » de leur circonscription administrative ? La raison est que le chef Tikar de deuxième degré a appelé affectueusement « mon fils » le chef Bamoun de premier degré, à l’occasion de la visite de ce dernier à Magba.

Le chef Tikar a alors été déshabillé devant son « peuple », brutalisé et contraint de s’asseoir aux pieds du chef sultanien par des sujets zélés. Au-delà des hostilités réciproques, il tombe sous le sens que l’État a mis de côté le pouvoir postcolonial limité qu’avaient encore les chefferies traditionnelles, en accordant à leurs représentants des sinécures d’auxiliaires administratifs et une présence dans les conseils régionaux.

En sus de ces prébendes plutôt modestes, en faveur de supposés monarques confrontés à des sollicitations communautaires diverses, les chefferies moins moribondes bénéficieraient, selon plusieurs observateurs avisés, de largesses personnalisées et de nominations familiales ciblées, destinées à ramollir des individualités furibondes, notamment lors de tumultes exacerbés ou de rendez-vous électoraux.

TRADITIONS FRAPPÉES D’OBSOLESCENCE

De manière générale, les « couronnes » d’antan se trouvent désormais dépouillées de la crédibilité d’autrefois. Le premier coup de massue vint, en 1963, avec la décision de la cour suprême de reconnaître la primauté des lois républicaines sur les traditions. Par la suite, les litiges traités par les chefferies ont été peu à peu transférés aux tribunaux de première instance, en laissant aux coutumes les maigres cas de vide législatif.

En matière cadastrale, la propriété coutumière a été larguée au profit du titre foncier, sous peine de déchéance. Par ailleurs, l’hérédité des chefferies, bien que tolérée, contredit le principe de la Constitution selon lequel « les individus naissent libres et égaux en droit ». Or, il est courant d’assister à des successions qui vont du de cujus à un descendant choisi par lui-même, comme s’il s’agissait d’un patrimoine personnel.

Qui plus est, les illustres « majestés » ont elles-mêmes du mal à ressusciter et à faire respecter des traditions frappées d’obsolescence. À cela s’ajoute la prolifération des dérives d’improbité, de légèreté et de mendicité commises par des « sous-rois » folkloriques, qui finissent par perdre, de fil en aiguille, leur soi-disant dignité et leur apparente notabilité auprès des populations meurtries par des souffrances polymorphes.

Dans de telles conditions affligeantes, où la fierté égocentrique l’emporte sur les considérations du vivre-ensemble organique, il y aurait finalement lieu de parier que les chefferies traditionnelles du Cameroun ne devront plus leur existence artificieuse, dans un avenir plus ou moins prévisible, qu’à la reconnaissance spécieuse d’un État-parrain. Aussi présentent-elles, depuis quelques temps, des signes précurseurs de vulnérabilité.

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne.